Commission européenne c.République fédérale d'Allemagne, affaire C 142/16 (26 avril 2017) Cour de justice européenne
Les autorités allemandes ont autorisé la construction de la centrale au charbon de Moorburg dans le port de Hambourg le long de l'Elbe. La rivière sert de voie de migration pour les poissons énumérés à l'annexe II de la Directive sur les Habitats de l'Union européenne (UE).
Avant l'approbation, les promoteurs du projet ont réalisé une étude d'impact sur l'environnement (EIE) qui a conclu que le projet serait compatible avec les objectifs de conservation des zones Natura 2000 en amont, compte tenu des engagements pris par le promoteur du projet, entre autres, pour construire des échelles à poissons et surveiller leur efficacité. Les échelles à poissons étaient destinées à compenser pour les poissons qui seraient tués pendant le fonctionnement du mécanisme de refroidissement de la centrale électrique de Moorburg, qui tirerait une quantité importante d’eau de la rivière Elbe.
La Commission a déposé des plaintes contre l'Allemagne au motif de violations de la Directive sur les Habitats de l'UE dans le cadre de l'autorisation.
Dans sa décision, la Cour européenne a rappelé que les autorités nationales ne peuvent autoriser une activité faisant l'objet d'une évaluation que si elles se sont assurées que l'activité ne nuirait pas à l'intégrité du site protégé, en l'occurrence les zones Natura 2000 situées en amont du site proposé pour la centrale électrique. Para. 33. Cette évaluation doit inclure l'évaluation des mesures de protection incluses dans le projet de construction. Para. 34.
La Cour européenne a estimé que l'Allemagne avait enfreint la Directive parce que l'évaluation des incidences sur l'environnement ne contenait pas de données définitives concernant l'efficacité de l'utilisation de l'échelle à poissons et a simplement déclaré que son efficacité ne pouvait être confirmée qu'après plusieurs années de surveillance. Paras. 36-37. En d'autres termes, les fonctionnaires ne pouvaient garantir au-delà de tout doute raisonnable que l'échelle à poissons, associée à d'autres mesures d'atténuation, ne nuirait pas à l'intégrité des espèces de poissons protégées. Para. 38.
Deuxièmement, la Cour a constaté que l'Allemagne avait enfreint la Directive en ne tenant pas compte des effets cumulatifs de la centrale électrique au charbon proposée ainsi que de ceux d'une centrale électrique à accumulation par pompage en amont. La Cour a expliqué que l'Allemagne aurait dû évaluer si de tels effets cumulatifs auraient un effet négatif sur les espèces de poissons protégées. Paras. 61-63. Cependant, l'Allemagne n'était pas tenue d'évaluer les effets cumulatifs d'un futur projet hydroélectrique au fil de l'eau qui n'avait aucune chance de réussir à obtenir les permis correspondants, car cela ne constituait pas un « autre projet » au sens de la Directive. Paras. 64-67.
La Cour a condamné les parties à supporter leurs propres dépens.
Explication détaillée :
La Commission européenne a demandé à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de déclarer qu'en autorisant la construction d'une centrale électrique au charbon à Moorburg, sans procéder à une évaluation adéquate des incidences sur l'environnement (EIE ou étude d'impact), l'Allemagne a manqué à ses obligations en vertu de l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la Directive 92/43 / CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels et de la faune et de la flore sauvages (ci-après la « Directive sur les Habitats »). La Commission a allégué que l'EIE pour l'usine de Moorburg avait conclu à tort qu'il n'y aurait pas d'effets négatifs sur l'intégrité des aires protégées Natura 2000 en amont parce que l'EIE ne fournissait pas de données suffisantes pour garantir l'efficacité de l'échelle à poissons en tant que mesure d'atténuation garantissant que la centrale (plus précisément son mécanisme de refroidissement, qui tirerait de grandes quantités d'eau de la rivière) ne porterait pas atteinte à l'intégrité des aires protégées Natura 2000 en amont et, deuxièmement, ne prenait pas en compte les effets cumulatifs avec d'autres projets pertinents.
La CJCE a décidé que l'Allemagne avait manqué à ses obligations au titre de la deuxième phrase de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats en autorisant la construction de la centrale à charbon de Moorburg sur la base d'une EIE concluant à l'absence d'effets néfastes sur l'intégrité des zones Natura 2000 sans preuves suffisantes pour garantir au-delà de tout doute raisonnable l'efficacité de l'échelle à poissons. La CJCE a expliqué que le critère d'autorisation dans la deuxième phrase de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats intègre le principe de précaution :
Le mécanisme de refroidissement de l'usine de Moorburg est susceptible d'avoir un effet significatif sur certaines espèces de poissons énumérées à l'annexe II de la Directive sur les Habitats et protégées dans les zones Natura 2000 concernées.
L'analyse d'impact réalisée par les autorités allemandes a montré que la mort de poissons appartenant à trois espèces inscrites à l'annexe II de la Directive sur les Habitats, en raison du fait que l'usine de Moorburg puise l'eau de refroidissement de son corridor migratoire, affecterait la reproduction de ces espèces dans les aires protégées concernées…
…
Les autorités nationales compétentes ne peuvent autoriser une activité faisant l'objet d'une évaluation que si elles se sont assurées qu'elle ne nuirait pas à l'intégrité du site protégé. Il en est ainsi lorsqu'il n'y a aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à l'absence de tels effets néfastes.
Afin de garantir que la construction de l'usine de Moorburg ne porterait pas atteinte à l'intégrité des zones Natura 2000 concernées, il appartenait aux autorités allemandes de tenir compte des mesures de protection incluses dans ce projet de construction. À cet égard, il est de jurisprudence constante que l'application du principe de précaution dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats impose à l'autorité nationale compétente de prendre en compte, entre autres, les mesures de protection constituant partie de ce projet visant à éviter ou à réduire tout effet négatif direct sur le site, afin de s'assurer qu'il ne porte pas atteinte à l'intégrité du site protégé.
En l'espèce, il ressort du dossier soumis à la Cour que, outre d'autres mesures destinées à éviter les effets négatifs du prélèvement d'eau de la rivière, telles que l'installation d'un système de trappe et de transport et la réduction du l'activité de l'usine lorsque les niveaux d'oxygène chutent en dessous d'un point critique pour les poissons, une échelle à poissons a été installée à côté du déversoir de Geesthacht.
Cette échelle à poissons visait à accroître les stocks de poissons migrateurs en permettant à ces espèces d'atteindre leurs zones de reproduction, le long des cours moyen et supérieur de l'Elbe, plus rapidement. L'augmentation des stocks de cette manière devait compenser la mort de poissons à proximité de l'usine de Moorburg, de sorte que les objectifs de conservation des zones Natura 2000 en amont de l'usine ne seraient pas significativement affectés.
Cependant, il est clair que l'analyse d'impact elle-même ne contenait pas de données définitives sur l'efficacité de l'échelle à poissons, et indiquait simplement que son efficacité ne pouvait être confirmée qu'après plusieurs années de surveillance.
Il y a donc lieu de considérer que, au moment de l’octroi de l’autorisation, l’échelle à poissons, même si elle visait à réduire les effets directs significatifs sur les zones Natura 2000 situées en amont de l’usine de Moorburg, ne pouvait garantir au-delà de tout doute raisonnable, associée aux autres mesures visées au point 35 du présent arrêt, que cette installation ne porterait pas atteinte à l'intégrité du site, au sens de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats.
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Le critère d'autorisation prévu à l'article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la Directive sur les Habitats intègre le principe de précaution et permet de prévenir efficacement les effets néfastes sur l'intégrité des sites protégés résultant de plans ou de projets. Un critère d'autorisation moins strict que celui en cause ne saurait assurer aussi efficacement la réalisation de l'objectif de protection du site visé par cette disposition.
Paras. 30-40 (citations internes omises).
La CJCE a décidé que l'Allemagne avait également manqué à ses obligations au titre de la deuxième phrase de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats « en autorisant la construction de la centrale à charbon de Moorburg sur la base d'une EIE qui n'évaluait pas les effets cumulatifs résultant de la centrale de Moorburg et de la centrale électrique à pompage-stockage de Geesthacht :
En vertu de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats, les autorités nationales sont tenues, lors de l'évaluation des effets cumulatifs, de prendre en compte tous les projets qui, en combinaison avec le projet pour lequel une autorisation est demandée, sont susceptibles d'avoir un effet significatif sur un site protégé au regard des objectifs poursuivis par cette directive, même lorsque ces projets précèdent la date de transposition de cette directive.
Les projets qui, comme la centrale de pompage-stockage de Geesthacht, sont susceptibles d'entraîner, du fait de leur combinaison avec le projet sur lequel porte l'étude d'impact, une détérioration ou une perturbation susceptible d'affecter les poissons migrateurs présents dans la rivière et la détérioration du site concerné en vue des objectifs poursuivis par la Directive sur les Habitats, ne sont pas à exclure de l'analyse d'impact requise en vertu de l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats.
Il découle des considérations qui précèdent que, en n'évaluant pas de manière appropriée les effets cumulatifs résultant de la centrale de Moorburg et de la centrale à pompage de Geesthacht, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 6, paragraphe 3, du la Directive sur les Habitats.
Paras. 61-63.
La CJCE a souligné l'applicabilité de la Directive sur les Habitats malgré la distance entre la centrale à charbon de Moorburg et les zones Natura 2000 en cause protégées au titre de cette directive :
Il convient de noter d'emblée que le fait que le projet sur lequel porte l'évaluation environnementale contestée ne soit pas situé dans les zones Natura 2000 concernées, mais plutôt à une distance considérable de celles-ci, en amont de l'Elbe, n'exclut en rien l'applicabilité des exigences énoncées à l'article 6, paragraphe 3, de la Directive sur les Habitats. Il ressort du libellé de cette disposition que « tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’avoir un effet significatif sur celui- ci» est soumis au mécanisme de protection de l’environnement qu’il prescrit.
Para. 29.